La moutarde, un peu d’histoire

La moutarde

 

Sans conteste, la moutarde fait partie, au même titre que le sel et le poivre, des ingrédients de la vie. Compagne fidèle, elle est toujours là, sur notre table, pour nous procurer cette saveur ardente qui met « l’eau à la bouche ».

 

De tout temps, moutarde a été synonyme de saveur, de raffinement et d’enrichissement, en un mot, de plaisir de vivre.

La moutarde relève de procédé de fabrication complexes et dûment codifiés depuis des siècles de gastronomie. Son composant essentiel est la graine de sénevé, plante herbacée crucifère à fleurs jaunes que l’on retrouve déjà mentionnée dans les Évangiles. Au cours des temps, l’usage courant fera que le mot moutarde désigne indifféremment la plante et la préparation.

 

BRASSICA ET SINAPIS : l’origine botanique

Le botaniste distingue une quarantaine d’espèces de sénevé, dont une douzaine pousse naturellement en Europe.

Appelée moutarde brune ou encore moutarde de Chine, la Brassica Juncea Czem et Cosson est un hybride récent, puisqu’elle n’a été introduite définitivement en culture que vers le début du siècle. Vigoureuse et d’excellente saveur, c’est elle qui constitue l’ingrédient principal de la moutarde de Dijon. Très appréciée dans les campagnes, la variété blanche, Sinapis Alba, que l’on appelle aussi herbe à beurre, peut servir de fourrage pour les vaches laitières.

La Brassica Nigra Koch porte le nom commun de moutarde noire parce que ses graines passent du rouge au noir après la phase de maturité. Elle fut longtemps utilisée à la fois pour la préparation de la pâte et pour la confection des sinapismes : c’est-à-dire une préparation de plante assez pâteuse pour être appliquée sur la peau dans un but thérapeutique, assez proche d’un cataplasme .

L’espèce la plus répandue est sans conteste la moutarde des champs, sauvage et prolifique, dont le nom savant est Sinapis Arvensis Linné.

DE LONGUE TRADITION

La moutarde est connue depuis la Haute Antiquité. Il y a trois mille ans, les Chinois en cultivaient déjà plusieurs espèces et les égyptologues ont découvert des graines de moutarde déposées en offrande dans tombeaux et mastabas. Athènes et Rome appréciaient l’usage médical et culinaire de la moutarde. Les Grecs et les Romains l’appelaient sinapi, que l’on retrouve dans le mot français sinapisme.

Théophraste la cultivait dans son jardin et Aristote conseillait d’y plonger oies, canards, grives et cailles pour en relever le goût.

Et nous savons par le célèbre Apicius et son traité de cuisine « De re coqninaria » que les Romains connaissaient la moutarde sous son aspect actuel, sinapi confecta.

 

Sous sa forme culinaire, les Anciens l’associaient déjà au vinaigre, qui a l’étonnante caractéristique d’inhiber les propriétés révulsives de la plante. C’est ainsi que de tout temps ont été associés vinaigre et moutarde, pour le plus grand plaisir de nos palais.

 

MOUTARDIERS ET VINAIGRIERS AU MOYEN-ÂGE

Les mots moutarde et sénevé feront simultanément leur apparition dans le français du XIIIe siècle.

Quant au moutardier, qui désigne le fabricant ou le marchand de moutarde, il apparaît pour la première fois dans le registre de la taille royale de Paris en 1292. Et une ordonnance de 1351 le cite parmi les marchands autorisés à avoir des poids.

Moutardiers et Vinaigriers sont toujours associés dans le commerce des épices et des aromates, dont la cuisine du Moyen-Âge est aussi friande que la cuisine romaine.

Dans les grandes villes, les « crieurs » sont ces marchands ambulants qui vont de porte en porte héler les ménagères pour leur vendre à domicile pain et lait, viandes et poissons, fruits et légumes, « saulces et épices d’enfer ». Chez les gens modestes, la moutarde sera d’ailleurs très longtemps utilisée à la place du poivre : importées, les épices sont beaucoup plus chères. La Renaissance est l’âge d’or des épices, et la moutarde est toujours très en vogue à la grande époque des fêtes et des banquets : Rabelais en fait d’ailleurs grand cas.

Gargantua a un penchant évident pour cet accommodement, et Pantagruel se fait expliquer par le Roi qu’au pays des Andouilles « en bien peu de temps les navrées guérissent et les mortes ressuscitent » grâce à la moutarde.

L’HONNEUR SUPRÊME : FOURNISSEUR DE LA COUR

De siècle en siècle, la moutarde est de plus en plus synonyme de richesse, de raffinement et de plaisir. C’est au XVIIe siècle qu’ont été lancées les moutardes fines et aromatiques. Le commerce des moutardiers-vinaigriers « tous roulant leur brouette » est florissant, comme en témoignent les armoiries de la corporation:

« D’argent à une brouette de gueule sur laquelle est un baril de sable cerclé d’argent. »

Au XVIIIe et début XIXe les fabricants rivalisent d’invention pour créer mille recettes nouvelles et se livrent à une véritable course aux honneurs pour briguer les brevets de fournisseurs de cours royales et impériales. C’est l’époque des grands gastronomes comme Grimod de la Reynière, Carême, Brillat-Savarin ou Monselet qui perpétueront la tradition culinaire jusqu’à nos jours.

DANS LE SILLAGE DE LA RÉVOLUTION INDUSTRIELLE

À partir de 1850, ce sont les techniques qui évoluent. La moutarde avait toujours été fabriquée à la main. Dans le sillage de la révolution industrielle, la fabrication mécanique fait son apparition: un fabricant construit alors une machine qui broie, triture et tamise en même temps la moutarde.

Grâce à ce moulin, un homme peut faire 50 kg de moutarde par jour, contre 16 à 17 kg avec le procédé manuel. De l’atelier, on passe à l’usine qui sera hydraulique ou à vapeur.

Des brevets royaux, on passe à l’ère des brevets d’invention et des expositions universelles, ou chacun concourt pour les médailles les plus recherchées du moment.

 

Au XXe siècle, les réglementations, sont de plus en plus strictes, à l’image du décret de 1937 qui a été complété et actualisé en Juillet 2000 et qui définit les conditions de fabrication et de dénomination des moutardes. Si quelques fabricants utilisent encore aujourd’hui le procédé traditionnel, c’est-à-dire le broyage à la meule, la fabrication artisanale tend à disparaître au profit de quelques marques.